Le président français subit son baptême du feu africain lors
du sommet de la Francophonie à Kinshasa, la capitale de la République
Démocratique du Congo, les 13 et 14 octobre. Au pied de la passerelle
d’embarquement, Mahi, une Ivoirienne, lui adresse ses dernières
recommandations.
François Hollande et l’Afrique, une, première…On se souvient
de François Mitterrand, de son discours de La Baule, mais aussi de Chirac dans
son village françafricain, de Sarkozy et son brûlot de Dakar. Que nous réserve le nouveau
président socialiste dans un marigot où la realpolitik, la défense des intérêts
nationaux engloutissent les convictions
les plus affirmées? Va-t-il nous servir une vieille soupe réchauffée?
A écouter les échos qui reviennent de l’Elysée, on apprend
que François Hollande se fait bombarder quotidiennement de notes, de rapports
sur les derniers avatars des Etats africains. Des communications rédigées le
plus souvent par des docteurs es
Afrique, pompeusement baptisés «africanistes», ne connaissant souvent du continent
noir que les aéroports et les chambres d’hôtels de luxe. Mahi, une Ivoirienne,
fraîchement débarquée en France, a voulu adresser au président français
quelques remarques avant ce sommet de la Francophonie. En nouchi, ce français
imagé qu’on parle dans les rues d’Abidjan. D’où, parfois une nécessaire
traduction en pure langue de Molière.
La francophonie
«Prési, lance Mahi à François Hollande. Prési, c’est plus
choco (plus classe, moins ringard) que président. Dis-moi, votre affaire de
francophonie dont vous parlez tout le temps, c’est quoi? Tout ce qu’on voit,
c’est un président blanc, un grand chef qui réunit tous ses notables pour faire
le point sur la mission qu’il leur a confié.
Francophonie, faut nous affairer (informer) parce que nous,
on comprend rien. François Hollande, on veut entendre de ta propre bouche ce
que francophonie veut dire. Faut nous expliquer
parce qu’aujourd’hui on va prendre drap (on veut tout savoir) de
l’affaire. Et puis tu as dit aussi que d’ici 2050, 80% des francophones seront
Africains. Ca là, c’est quoi encore? C'est-à-dire, c’est nous seuls qui, d’ici
2050, allons parler français. Et les blancs, eux ils vont plus parler français?
Ils parleront quoi? Je vais te dire une chose, peut-être prési tu sais pas,
mais nous, on a fini avec français.
Français, on a mis ça à gauche (de côté) même. Actuellement,
tous nos enfants, on leur apprend anglais en désordre (de façon forcenée). Dans
tous les pays francophones, on fait rien avec français. Depuis que vous êtes en
train de créer les palabres de gauche à droite dans nos pays, on est fâchés, en
même temps, ça chauffe nos cœurs. Prési, je dois te dire ça. Nous on a commencé
à créer notre langage.»
Le discours de Dakar
Prési, reprend Mahi, président Sarkozy avait dit que l’homme
africain n’est pas entré dans l’histoire. Ca là, toi-même qui est là
actuellement, qu’est ce que ça veut dire? Moi-même, je ne comprends pas. C’est
foutaise. Nous on a des grands hommes. Nelson Mandela, c’est blanc, c’est
métis, c’est quoi? C’est noir, c’est Africain. Nous on a des Mogho Naaba (roi
du Burkina de 1957 à 1981).
L’histoire, quand c’est pas blanc, c’est pas l’homme (on
n’est pas considéré). Lui, Sarkozy, il a parlé, mais toi, faut nous dire. Ce
que l’autre a dit, peut-être, tu penses ça. Faut nous dire, on veut prendre
drap dans ça (on veut savoir).
Les élections truquées
Prési, faut m’expliquer une autre chose encore. Dans ton
ministère là-bas, il paraît qu’il y a des gens qui disent qu’il faut faire la
morale aux présidents africains pour qu’ils arrêtent de tricher aux élections.
Vous saviez bien qu’il y avait eu des tricheries dans les élections et puis
vous composez avec ces présidents-là. Mais c’est quelle affaire ça? Ca me
dépasse, franchement! Chaque fois qu’il
y a des élections, il y a des tricheries et vous dites «non, tout s’est bien
passé».
Maintenant aujourd’hui, vous parlez de les moraliser. C’est
quelle morale, vous allez donner? Commencez par vous-mêmes. Quand quelqu’un
triche et qu’on compose avec, on triche aussi. Si vous arrêtez de vous occuper
de ce qui se passe dans nos politiques, je crois qu’il n’y aura pas de
problème. Quand le peuple se lève, il y a des chars qui se lèvent aussi pour le
calmer. Votre histoire de moralité, faut revoir ça. Gardez là et laissez nous
gérer nos affaires.
L’immigration
Prési, tu veux savoir pourquoi on est versés (nombreux) sur le Mbènguè (en Europe) actuellement. Je
vais te dire maintenant, on n’a pas le choix. On est venus se chercher ici. Il
n’y a rien au pays actuellement. Politique a
tout gâté (gâché) là-bas. On va
faire quoi? On n’a qu’à s’asseoir, on va mourir de faim chez nous là-bas. Ici,
au moins, même si tu n’as rien, tu peux avoir un peu de jetons (argent) pour
ramener dans ton pays. On sait qu’ici, il y a des frères qui gâtent notre nom
par leur comportement. Ils vous trauma-choquent, vrai-vrai. Nous-mêmes, on est au courant.
Ce n’est pas pour ça que vous allez penser que c’est tout le
monde. On n’est pas tous zinzins (déréglés). Il y en a aussi qui travaillent et
étudient ici. Un matin, on va avoir un Obama parmi nous.
Propos recueillis par Philippe Duval